Le propriétaire d'une réserve de chasse dans le nord de l'Espagne raconte avoir chassé un loup il n'y a pas si longtemps. Autrefois, l'animal était empaillé ou jeté directement à la poubelle. Aujourd'hui, ce gibier rare et illégal finit ses jours dans un congélateur. « Si des personnalités importantes viennent chasser, nous le sortons du congélateur la veille et leur disons : regardez ce que nous avons tué hier. C'est ce que vous voulez voir. »
À mesure que l'urbanisation progresse en Espagne, la nature devient de plus en plus confinée. De plus en plus de personnes vivent en ville, où se concentrent tout le travail et l'activité économique. Si vous restez à la campagne, la campagne ne vous appartiendra jamais : il vous faudra migrer vers la ville pour la conquérir.
Mais une fois en ville, votre perspective change. Vous avez le travail, l'argent et le confort, mais quelque chose commence à vous manquer. La conquête de la campagne devient la conquête d'un idéal romantique. La campagne que convoite la ville n'est pas un lieu sauvage, ni même agricole. C'est un parc d'attractions qui représente la campagne, où l'on peut se rendre pour déguster une cuisine authentique. Les maisons rurales s'efforcent d'avoir une apparence très rurale, les fromages très artisanaux, les choses et les lieux portent des noms qui n'en portaient pas, et les citadins croient se souvenir de choses qui se sont produites dans des vies ou des générations antérieures.
La lutte contre la nature est l'une des choses qui font de l'homme un homme. Pour le citadin qui peut passer des années sans jamais voir les animaux qu'il mange, seulement des cuisses et des steaks, tuer un animal pour le manger représente un contact presque traumatisant, mais passionnant, avec la réalité. C'est la vie. Pouvoir dire : Je l'ai tué.
Bien sûr, il existe aussi des parcs d'attractions pour cela. Une réserve de chasse n'est pas une montagne sauvage où les cerfs s'attardent encore : c'est une zone privée et clôturée où les cerfs sont élevés et nourris toute l'année. Quand la saison de la chasse arrive, le citadin quitte la ville dans son SUV en cuir, en quête d'expérience. Il se laisse emporter par le sang, et l'environnement rude qui entoure la chasse lui redonne ce qu'il a perdu : l'esprit du village. Fusil à la main, l'Espagnol du village qui a conquis la ville se souvient qu'il est encore un homme, qu'il peut survivre.
Il prend ensuite une photo avec son loup gelé et remonte dans son SUV, n'ayant toujours pas l'impression d'avoir obtenu ce pour quoi il est venu.
L'envie brille dans ses yeux pour les chiens qui, ivres de sang, savent encore s'amuser comme des fous.
La chasse au loup gelé - Ricardo Cases
TRÈS BIEN UTILISÉ


















