Oddments est un projet photographique involontaire. Il s'intéresse aux vestiges du discours, au surplus des processus qui se déroulent en chambre noire, à ce qui est oublié comme dans un carnet de notes visuelles hâtives. Il témoigne de la manière dont les fragments photographiques (des preuves auxquelles on n'accorde généralement pas plus d'importance que celle du processus) contiennent des décisions spontanées qui révèlent une implication subconsciente, une intention sous-jacente. Ainsi, le projet naît de la prise de conscience de Gael del Río et Luca Bani que toute image condense des récits involontaires dont, au départ, ils n'ont pas eux-mêmes conscience.
 Les secrets de chaque scène se dévoilent peu à peu à chaque geste de manipulation de l'image. Devant l'agrandisseur, ils réalisent des bandes d'essai à partir d'un négatif : cela implique un recadrage. Ils prennent des notes sur ces bandes d'essai : cela les redéfinit. Ils les stockent sans leur donner de fonction explicite : cela les jette dans l'oubli. Ils les empilent, pêle-mêle, dans un sac : cela suscite un dialogue inaudible. À ce moment-là, elles échappent à leurs mains et à leurs intentions. Le temps joue son rôle.
 Un jour, le sac plastique a vieilli. À l'intérieur, les images ont pris un sens différent, par accumulation, coexistence et combinaison : elles révèlent un sentiment troublant d'unité entre elles, bien qu'elles soient issues du point de vue de deux personnes, de lieux, d'époques et de projets différents. Oddments naît, par essence, du moment où ils les récupèrent et les exhument, et les appelle à construire leur histoire à partir du fragment, à créer, à partir de ce qui semble dysfonctionnel (comme un puzzle avec des pièces de différentes tailles), quelque chose de semblable à un nouveau corps à partir des membres de différents sujets. Architectures, corps, objets et paysages ne sont plus autonomes ; ils sont instables et ont cessé de partager leur nature initiale : le changement d'échelle les a standardisés, unis. Le pli est une articulation, la poitrine une dune, la peau un gouffre, la courbe un méandre. Tout ce qui est prosaïque devient sublime… et vice versa : les points inaccessibles d'un pic enneigé deviennent un rocher couronné de guano.
 Ces épreuves étaient nées pour être incomplètes, asymétriques comme des nombres impairs ; mais à un moment donné, elles se sont complétées par la rencontre avec d'autres, différents, étrangers : leurs pairs. Il y a une corrélation humaine à cela : Oddments est le résultat de la rencontre de deux personnes, de deux perspectives qui semblent se compléter au point de devenir indiscernables. Oddments sont des restes, des bribes, des rebuts concrétisés par quelque chose de plus grand. L'obstacle qui accompagne Gael del Río et Luca Bani lorsqu'ils décident d'épargner quelques papiers de leur destin à la poubelle pour en faire une réflexion sur leur activité de photographes. L'abandon à ce qui se passe hors de leur portée. La possibilité d'une question : quel discours émerge des restes de discours ?

 Texte de Carlos Martín inclus dans le livre.